parcours

Dédiée à une publication dans le courant du mois d’Avril 2021 sur le site d’une association de journalisme, l’ancienne journaliste en question n’a pas pu le publier en raison de difficultés personnelles et professionnelles. Comme j’ai mis de tout mon cœur sur cet article, je le partage sur mon site et détaillerai au fur et à mesure. Je pense qu’il est important que je vous partage un résumé de ma vie.

Entendons-nous mieux. Ecoutons-nous mieux. Ouvrez les portes !

Je vais vous partager mon histoire. Je suis Mathilde, artiste plasticienne.

J’insiste que c’est un parcours personnel, que chaque personne sourde est différente. Les actions que je mène en tant qu’artiste ou bénévole pour la visibilité des contraintes de la surdité, y sont intimement liées.

Je suis née en métropole au sein d’une famille créole-réunionnaise. Malgré des doutes de ma mère, les médecins pensent que j’ai des problèmes d’attention. Jusqu’à que le verdict tombe : je suis née sourde profonde bilatérale. Je suis la seule sourde de tous les membres de la famille. A cause de mes soucis de santé, je m’installe à La Réunion dès mes 5 ans. Mon frère naît le lendemain du choc de l’information que ma mère a eu. Ensemble, nous créons notre propre langage, mélangé de mots et de signes.

Mes parents décident de m’appareiller avec des contours d’oreilles, espérant que la technologie évolue et que je ne sois pas implantée sans mon consentement. C’est ainsi que j’apprends la langue de Molière à travers la Langue Parlée et Complétée (LPC) pendant plusieurs années d’orthophonie, afin d’être mieux intégrée dans la société des personnes entendantes. Ils craignent que la langue des signes française (LSF), apprise très tard par choix personnel, ne suffise pas pour mon intégration sociale et professionnelle. Ils ont su m’expliquer ces choix, que j’ai le droit de trouver difficile. Malgré une inquiétude de leur part, je continue sur le français qui me passionne. Un développement accru de ma créativité naît par mon observation constante par la vue, le toucher et l’imagination du monde silencieux, par une recherche identitaire dans laquelle j’ai vécu. L’art devient totalement accessible visuellement.

Mes parents me font découvrir une communauté sourde, car ils me font participer à plusieurs activités organisées par une association auprès différents profils d’enfants sourds. Très engagés pour l’intégration totale des enfants sourds, ils arrêtent épuisés quand j’obtiens mon baccalauréat. A aucun moment ils pensent que j’allais m’investir autant dans les études supérieures

Depuis toujours, je suis une personne sourde avec « le cul entre deux chaises » : l’une est un monde des entendants, l’autre est un monde des sourds. J’ai le sentiment d’avoir une multi-identité. Non seulement j’ai deux cultures, entendante et sourde, j’hérite aussi un métissage culturel et génétique réunionnais.

Une période scolaire rude

« On a le doit d’être sourd comme on veut et
personne ne peut imposer une façon d’être sourd ».

J.B

Les années scolaires sont difficiles. Malgré la présence d’amitiés fortes et durables, je subis des harcèlements, des agressions, une tentative de suicide et sans le cacher, le divorce de mes parents. Pendant des années, je culpabilise d’être sourde, persuadée d’être la source principale des difficultés. Je culpabilise de vouloir parler plusieurs langues. Cela forgera mon caractère, mon autonomie, mon indépendance, ma grande empathie à travers une forte résilience. Avec le temps, je réalise quel est le vrai combat : la sensibilisation.

Des inquiétudes et puis la crise sanitaire …

Avant même que le contexte du coronavirus arrive, j’ai failli abandonner mes études supérieures par manque de compensation LfPC ou de transcription écrite. La crise sanitaire tombe sur une année importante. On m’impose la LSF pour tous les contextes. J’ai essentiellement besoin de comprendre le français lors des cours complexes en vocabulaire, à travers la LfPC : j’ai refusé qu’on m’impose un mode de communication. Je veux un libre-arbitre, choisir ma langue et non parce que la crise sanitaire oblige à vivre avec les manques.

Je ne me suis jamais sentie handicapée, je suis imposée d’être dans une situation de handicap totale et qu’on m’isole de mes camarades entendants.

Cette crise multiplie les difficultés déjà connues dans les années précédentes : le sentiment d’isolement, le manque de compensation, les efforts de communication pour comprendre mon entourage. Je m’aperçois qu’un handicap peut tomber sur n’importe qui, sans crier gare ; qu’on ne peut pas le cacher ou l’ignorer tant que les contraintes persistent.

La société peine encore à vivre avec différentes communautés. La Réunion est très en retard : elle ignore encore comment compenser certaines contraintes du handicap car les personnes concernées ne sont pas toujours sensibilisées. La crise a tout de même positivement aidé à l’émergence d’outils de communications inscrits dans la technologie, encore inconnus.

Aujourd’hui les actions

Mes nombreuses actions sont nées de ma frustration, de mes peines mais surtout de l’envie et de mes espoirs d’améliorer les situations. Si ces actions représentent un grain de sable sur une plage, je crois en l’effet papillon. Je suis consciente d’être l’une des pionnières des profils sourds totalement oralisant sur l’île. D’autres amis sourds bilingues (LSF et français), comme Olivier AH-FA ou Joëlle MALET, m’ont été inspirants dans leur réussite jusqu’aux diplômes obtenus.

Mon parcours me fait devenir la première sourde utilisant la LfPC pour un diplôme en études supérieures sur La Réunion. J’ai compris ainsi que je dois continuer d’atteindre mes rêves et qu’un handicap ne doit pas être un frein.

Mes actions concernent la sensibilisation de la surdité et ses moyens de communication. Ils se focalisent sur l’accessibilité des services publics, l’accessibilité aux informations et le masque sanitaire qui couvre le visage. Notre communication est essentiellement visuelle. Depuis la crise sanitaire, les informations nous sont généralement invisibles, les masques nous rendent aveugles et nous obligent à être constamment infantilisés.

J’utilise mon travail artistique par passion, par curiosité envers le sonore autant que dans un contexte engagé, sensible et poétique. Je suis actuellement bénévole au conseil d’administration de l’ALPC et derrière le Pôle culture.

Je rends visible une solution alternative, je dis bien alternative et non la solution miracle, qui est le masque transparent.

J’ai milité à travers « Sourires Masques Transparents », toujours actif. J’informe le public des outils qui existent en dehors d’un appel téléphonique – on continue de demander par automatisme à une personne sourde d’appeler vers un fixe – et j’ai commencé à le faire via les réseaux sociaux. Il est vrai que le masque transparent est cher. Je sais que le monde autour de moi connaît peu le monde des sourds. J’espère que ce type de masque se développera en France et dans les départements ultramarins comme un masque chirurgical, attendu depuis des années, à destination des centres médicaux.

Avoir un handicap ne veut pas dire être faible.

On a beau me dire que mettre en place les choses prend du temps : les résultats positifs de mon parcours et de mes amis sont là.

On a tendance à ignorer le handicap, qui pourtant ne sélectionne personne ni aucun statut social : temporaire ou à vie, il tombe sur n’importe qui, même vous. Si je ne partage pas mes expériences, on ne prend pas connaissance des contraintes.

Pour notre avenir, mon avenir,
j’espère les contraintes minimisées,
afin de ne plus ressentir un handicap,
puisque nous ne l’avons pas choisi.

Mathilde lauret

On peut majoritairement retrouver mon travail artistique ou mon quotidien sur les réseaux sociaux Instagram mapile.deaf.art ou le site https://mathildelauretfr.wpcomstaging.com/

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  • 30 juin 2021