L’artiste plasticienne Mathilde Lauret participe à l’inauguration d’une nouvelle salle adaptée pour les personnes en situation de handicap à l’Université de La Réunion, en proposant une oeuvre sculpturale aux airs d’un tableau bidimensionnel. L’œuvre, intitulée Le Repos silencieux, reflète un art sensible et une perception du silence par l’artiste elle-même sourde, imprégnée dans l’ambiance d’une salle de repos. Une manière de dépasser l’idée du silence absolu, où nous explorons encore les inattendus du monde sonore et de son impact émotionnel, écologique ou biologique.
Sensible à l’accessibilité culturelle, l’artiste a souhaité proposer une oeuvre abstraite presque minimaliste, à la fois visuelle et tactile, afin de mieux refléter l’objectif même de la salle Handi’média inauguré le 9 février 2023. Une commande artistique qui espère ravir tous les publics.
La salle Handi’média a été inaugurée ce 9 février par Monsieur Frédéric MIRANVILLE, Président de l’Université de La Réunion, Madame Patricia DUCRET, Vice-Présidente déléguée en charge de l’Égalité Femmes-Hommes et Handicap, en présence de Madame Laure BEN MOUSSI, Directrice Territoriale Handicap du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la Fonction publique (FIPHFP) et de Madame Mathilde LAURET, artiste, auteure de l’œuvre « Le repos silencieux ».
Le repos silencieux, 3 panneaux assemblés en bois, acrylique sur bois, 240x100cm, 2023 Université de La Réunion, Saint-Denis.
L’œuvre, tactile et visuelle, transcrit la perception sonore de la surdité profonde de l’artiste. Elle traduit l’ambiance d’une salle de repos par un voyage entre synesthésie et application technique. Construite sur un protocole nommé « le spectre des sourds », l’artiste conçoit des éléments colorés afin de refléter une certaine réalité de la perception des vibrations.
Une nouvelle exposition s’ouvrira au Nootoos, 1 place Saint-Pierre le vieux, à Strasbourg. Voyager, c’est explorer, c’est raconter des perceptions et des évènements vécus. En effet, l’exposition (IN)audibles reflète un voyage au sein d’un « péi » (pays en créole réunionnais) et dans un « fonnkèr » (état d’âme en créole réunionnais) via des oreilles d’une personne sourde depuis sa naissance. L’artiste, elle-même sourde, offre une vision poétique de plusieurs mondes silencieux paradoxalement bruyants, à travers l’île de La Réunion et à travers son corps. Les paysages de La Réunion cachent une blessure, celle d’un silence de plus en plus menacé par des bruits parasites et humains, tandis que le corps de l’artiste est témoin d’une beauté et d’une violence presque indescriptibles des vibrations sonores, avec lesquelles elle cohabite depuis son enfance.
Le FRAC de La Réunion a réalisé une vidéo qui met en avant un aperçu des œuvres des artistes de l’exposition “Protocoles sensitifs“. Ceci dit, cela inclut donc mon oeuvre “En mémoire des silences“. Bon visionnage.
Chapitre numéro 1, couverture du livre gaufré, trois propositions toucher, deux dimensions, trois dimensions, La Réunion, 2018
Chapitre numéro 1, couverture du livre gaufré, trois propositions toucher, deux dimensions, trois dimensions, La Réunion, 2018
Cette œuvre est l’une de mes premières créations sur la question de la perception sonore. Il se distingue sous plusieurs formes : livret, police de caractère, installation interactive…
La poésie sonore visuelle fut la première réflexion née dans ma démarche artistique autour de la perception sonore avant d’inclure la surdité. Je suis fascinée par les courbes, les rythmes et les reliefs qu’offre des vibrations, n’importe où qu’elles passent. Il y a une sonorité, une musicalité pour chaque chose qui se forme, une sensibilité que je recherche à traduire à travers divers médiums.
J’ai créé une typographie à partir d’ondes sinusoïdales de la prononciation française des lettres de l’alphabet. La typographie est une image, une métaphore et symbolise grossièrement les vibrations sonores. Avec une touche de fiction, chaque lettre de l’alphabet prononcée à la française écrit ses propres formes d’ondes, où on peut parfois retrouver des reliefs répétés. Comment réinventer une écriture sonore ?
Cette typographie, réinventée pour pouvoir être écrite, n’est pas prononçable. Elle s’observe, ses courbes créent un nouveau rythme de lecture. Elle invite à créer une sonorité à travers les pensées. Ainsi naît une réflexion sur le Silence, qui paraît être à la fois un concept et un processus mental réel.
L’œuvre a également été exposée lors de l’exposition DixFractions.
“En mémoire des silences” est une œuvre expérimentale pensée en 2018, dans le cadre d’un début du projet “Paysages sonores : voyage au cœur de l’île”, qui continue de progresser aujourd’hui. L’œuvre apporte un autre regard sensible, poétique et presque dramatique sur les situations sonores des paysages naturels de l’île de La Réunion, à travers des oreilles sourdes de l’artiste plasticienne Mathilde LAURET.
Régulièrement publié sur Instagram, “En mémoire des silences” veut sensibiliser le public au danger des bruits, que le vrai silence n’est pas celui qu’on pense. Chaque paire de dispositifs vibrants, ainsi que les tabourets sur lesquels nous pouvons nous assoir, propose d’écouter à travers le toucher des lieux calmes. Paradoxalement, les lieux naturels de La Réunion censés être calmes s’avèrent cacher des périodes sonores très bruyantes. Cette forme d’écoute pousse le spectateur à les trouver angoissants dû au fait que les sons paraissent très étouffés. Les vibrations transcrivent tous les bruits parasites perçus par l’artiste, bien que nous ne puissions pas les entendre directement par les oreilles. L’artiste invite également les spectateurs à voir les dispositifs comme des captures d’entités sonores parasites, qui naissent à travers les activités produites par l’homme (hélicoptère, cris…).
Un livret accompagne les dispositifs vibrants par des explications des lieux étudiés, des images des lieux et du parcours de l’artiste à la recherche du silence devenu rare. Le livret est exceptionnellement conçu pour l’exposition “Protocoles sensitifs“, organisé par les co-commissaires Brandon Gercara et Tatiaan Patchama, également artistes plasticien.ne.s.
Deux tableaux étranges accompagnent également l’œuvre. Le tout forme une installation interactive, qu’il faut observer comme un chercheur. Les tableaux sont également des œuvres distinctes, qui reflètent des îlots sonores fictifs et abstraits étudiés sur l’île de La Réunion, tels des cartographies. Bien qu’ils reprennent les reliefs des cirques ou du Piton de la Fournaise, les aplats reflètent surtout les lieux parcourus par l’artiste.
Un site d’échanges, d’entraide, destiné aux familles, aux professionnels, aux personnes sourdes ou malentendante, entièrement gratuite. Le site-forum est pensé par des bénévoles volontaires, solidaires et engagé(e)s.
> Lien du site K’fé LPC La Réunion (et ailleurs) <
A qui est destiné ce site-forum ?
Il vise en premier les résident(e)s ou ancien(ne)s résident(e)s de l’île de La Réunion, notamment lorsque le profil de l’individu sourd fait le choix de l’oralisation à travers la Langue française Parlée et Complétée (LfPC): c’est-à-dire qu’il en fait de la langue française sa principale langue de communication. Il s’agit surtout des familles, qui ont peu d’accès aux informations sur la LfPC ainsi que sur la surdité et qui recherchent un accompagnement de l’enfant.
Attention ce n’est pas un site médical ou spécialisé sur le handicap. Il n’a pas pour vocation de remplacer ni de contester les structures déjà existantes.
Le forum permet surtout d’offrir un lieu d’échanges virtuels en dehors des réseaux sociaux comme Facebook ; de questions-réponses (MDPH, outils d’accessibilité…) ; de réelles rencontres dans des lieux de l’île de La Réunion dans un concept amicale ou de pratique-échanges autour de la LfPC.
L’inscription est gratuite.
Toutes les personnes sont les bienvenues, quel que soit le département français, quel que soit l’origine d’une famille, quel que soit le profil de l’individu atteint de déficience auditive.
Le site a été entièrement conçu par l’artiste Mathilde LAURET.
Capture d’écran de la section “à propos” du site-forum
Dédiée à une publication dans le courant du mois d’Avril 2021 sur le site d’une association de journalisme, l’ancienne journaliste en question n’a pas pu le publier en raison de difficultés personnelles et professionnelles. Comme j’ai mis de tout mon cœur sur cet article, je le partage sur mon site et détaillerai au fur et à mesure. Je pense qu’il est important que je vous partage un résumé de ma vie.
Entendons-nous mieux. Ecoutons-nous mieux. Ouvrez les portes !
Je vais vous partager mon histoire. Je suis Mathilde, artiste plasticienne.
J’insiste que c’est un parcours personnel, que chaque personne sourde est différente. Les actions que je mène en tant qu’artiste ou bénévole pour la visibilité des contraintes de la surdité, y sont intimement liées.
Je suis née en métropole au sein d’une famille créole-réunionnaise. Malgré des doutes de ma mère, les médecins pensent que j’ai des problèmes d’attention. Jusqu’à que le verdict tombe : je suis née sourde profonde bilatérale. Je suis la seule sourde de tous les membres de la famille. A cause de mes soucis de santé, je m’installe à La Réunion dès mes 5 ans. Mon frère naît le lendemain du choc de l’information que ma mère a eu. Ensemble, nous créons notre propre langage, mélangé de mots et de signes.
Mes parents décident de m’appareiller avec des contours d’oreilles, espérant que la technologie évolue et que je ne sois pas implantée sans mon consentement. C’est ainsi que j’apprends la langue de Molière à travers la Langue Parlée et Complétée (LPC) pendant plusieurs années d’orthophonie, afin d’être mieux intégrée dans la société des personnes entendantes. Ils craignent que la langue des signes française (LSF), apprise très tard par choix personnel, ne suffise pas pour mon intégration sociale et professionnelle. Ils ont su m’expliquer ces choix, que j’ai le droit de trouver difficile. Malgré une inquiétude de leur part, je continue sur le français qui me passionne. Un développement accru de ma créativité naît par mon observation constante par la vue, le toucher et l’imagination du monde silencieux, par une recherche identitaire dans laquelle j’ai vécu. L’art devient totalement accessible visuellement.
Mes parents me font découvrir une communauté sourde, car ils me font participer à plusieurs activités organisées par une association auprès différents profils d’enfants sourds. Très engagés pour l’intégration totale des enfants sourds, ils arrêtent épuisés quand j’obtiens mon baccalauréat. A aucun moment ils pensent que j’allais m’investir autant dans les études supérieures
Depuis toujours, je suis une personne sourde avec « le cul entre deux chaises » : l’une est un monde des entendants, l’autre est un monde des sourds. J’ai le sentiment d’avoir une multi-identité. Non seulement j’ai deux cultures, entendante et sourde, j’hérite aussi un métissage culturel et génétique réunionnais.
Une période scolaire rude
« On a le doit d’être sourd comme on veut et personne ne peut imposer une façon d’être sourd ».
J.B
Les années scolaires sont difficiles. Malgré la présence d’amitiés fortes et durables, je subis des harcèlements, des agressions, une tentative de suicide et sans le cacher, le divorce de mes parents. Pendant des années, je culpabilise d’être sourde, persuadée d’être la source principale des difficultés. Je culpabilise de vouloir parler plusieurs langues. Cela forgera mon caractère, mon autonomie, mon indépendance, ma grande empathie à travers une forte résilience. Avec le temps, je réalise quel est le vrai combat : la sensibilisation.
Des inquiétudes et puis la crise sanitaire …
Avant même que le contexte du coronavirus arrive, j’ai failli abandonner mes études supérieures par manque de compensation LfPC ou de transcription écrite. La crise sanitaire tombe sur une année importante. On m’impose la LSF pour tous les contextes. J’ai essentiellement besoin de comprendre le français lors des cours complexes en vocabulaire, à travers la LfPC : j’ai refusé qu’on m’impose un mode de communication. Je veux un libre-arbitre, choisir ma langue et non parce que la crise sanitaire oblige à vivre avec les manques.
Je ne me suis jamais sentie handicapée, je suis imposée d’être dans une situation de handicap totale et qu’on m’isole de mes camarades entendants.
Cette crise multiplie les difficultés déjà connues dans les années précédentes : le sentiment d’isolement, le manque de compensation, les efforts de communication pour comprendre mon entourage. Je m’aperçois qu’un handicap peut tomber sur n’importe qui, sans crier gare ; qu’on ne peut pas le cacher ou l’ignorer tant que les contraintes persistent.
La société peine encore à vivre avec différentes communautés. La Réunion est très en retard : elle ignore encore comment compenser certaines contraintes du handicap car les personnes concernées ne sont pas toujours sensibilisées. La crise a tout de même positivement aidé à l’émergence d’outils de communications inscrits dans la technologie, encore inconnus.
Aujourd’hui les actions
Mes nombreuses actions sont nées de ma frustration, de mes peines mais surtout de l’envie et de mes espoirs d’améliorer les situations. Si ces actions représentent un grain de sable sur une plage, je crois en l’effet papillon. Je suis consciente d’être l’une des pionnières des profils sourds totalement oralisant sur l’île. D’autres amis sourds bilingues (LSF et français), comme Olivier AH-FA ou Joëlle MALET, m’ont été inspirants dans leur réussite jusqu’aux diplômes obtenus.
Mon parcours me fait devenir la première sourde utilisant la LfPC pour un diplôme en études supérieures sur La Réunion. J’ai compris ainsi que je dois continuer d’atteindre mes rêves et qu’un handicap ne doit pas être un frein.
Mes actions concernent la sensibilisation de la surdité et ses moyens de communication. Ils se focalisent sur l’accessibilité des services publics, l’accessibilité aux informations et le masque sanitaire qui couvre le visage. Notre communication est essentiellement visuelle. Depuis la crise sanitaire, les informations nous sont généralement invisibles, les masques nous rendent aveugles et nous obligent à être constamment infantilisés.
J’utilise mon travail artistique par passion, par curiosité envers le sonore autant que dans un contexte engagé, sensible et poétique. Je suis actuellement bénévole au conseil d’administration de l’ALPC et derrière le Pôle culture.
Je rends visible une solution alternative, je dis bien alternative et non la solution miracle, qui est le masque transparent.
J’ai milité à travers « Sourires Masques Transparents », toujours actif. J’informe le public des outils qui existent en dehors d’un appel téléphonique – on continue de demander par automatisme à une personne sourde d’appeler vers un fixe – et j’ai commencé à le faire via les réseaux sociaux. Il est vrai que le masque transparent est cher. Je sais que le monde autour de moi connaît peu le monde des sourds. J’espère que ce type de masque se développera en France et dans les départements ultramarins comme un masque chirurgical, attendu depuis des années, à destination des centres médicaux.
Avoir un handicap ne veut pas dire être faible.
On a beau me dire que mettre en place les choses prend du temps : les résultats positifs de mon parcours et de mes amis sont là.
On a tendance à ignorer le handicap, qui pourtant ne sélectionne personne ni aucun statut social : temporaire ou à vie, il tombe sur n’importe qui, même vous. Si je ne partage pas mes expériences, on ne prend pas connaissance des contraintes.
Pour notre avenir, mon avenir, j’espère les contraintes minimisées, afin de ne plus ressentir un handicap, puisque nous ne l’avons pas choisi.
Mathilde lauret
On peut majoritairement retrouver mon travail artistique ou mon quotidien sur les réseaux sociaux Instagram mapile.deaf.art ou le site https://lauretmathilde.fr/
Aujourd’hui, je vous partage des nouvelles du lundi 21 Juin 2021 d’une collaboration d’ateliers, réalisés en interne en même temps que la Cité proposait son programme du Festival de la musique. Les ateliers étaient une sensibilisation à la surdité et la LfPC par Mme INGRAT Aurore ainsi que moi-même, “Entendre par la vue et le toucher avec la transcription graphique”. Nous avons reçu des publics de 7 à 16 ans, entendants, sourds et malentendants.
Toute l’équipe était satisfaite, les jeunes publics ont découvert des ateliers riches en découvertes et en informations. Ils se sont ensuite adonnés à la pratique de la transcription sonore vers le graphisme.
Avec des formes et des couleurs, j’ai proposé une découverte et aidé à comment comprendre le protocole que j’ai créé pour un public lambda ; issu de ma sensibilité des vibrations sous des formes et des couleurs (synesthésie), j’ai pris tant de bien que de mal à établir un protocole accessible à tous et toutes. Je remarque que le spectre sonore en lumière colorée se basait sur des sons généralement audibles mais aucun ne proposait sur des basses fréquences et une perception des vibrations par le toucher. D’où le résultat du protocole, basé sur des calculs et une part de ma sensibilité sourde.
Il y a eu des résultats vraiment intéressants et beaucoup voulaient “entendre” les séquences sonores par les oreilles. Ce fut une belle expérience pour eux d’apprendre à ignorer ses oreilles et percevoir les vibrations qui se répandent dans la salle. Nous remercions toute l’équipe de la Cité des Arts pour leur investissement et pour le projet réussi proposé par Océane Jean-Jacques, médiatrice et elle-même artiste-plasticienne.
L’artiste construit des textes, rédigés par elle-même. Avec le jeu de spectres de l’audition colorée (version sourd qu’elle a également créé sous forme de protocole), elle le fusionne avec la perception des mots ou des consonnes perçus dans le texte. C’est une manière selon elle de rendre visible ce qui n’est pas entendu par ses oreilles, ses yeux, mais qu’elle les perçoit sous formes de vibrations et de ressentis.